J'ai eu bien du mal à comprendre l'affaire Voltalis-EDF. L'article le mieux rédigé sur ce problème est à mon sens celui de l'Expansion mais même là j'ai dû m'y reprendre à plusieurs fois et consulter beaucoup d'autres sources.

Voltalis est une société qui pratique ce qu'on appelle « l'effacement diffus ». Concrêtement, elle place des boîtiers chez les consommateurs qui permettent de couper à distance et en temps réel certains appareils électriques, notamment en cas de pics de charge. En cas de pic de charge, le boîtier pourrait donc par exemple couper le chauffage pendant un quart d'heure chez des particuliers pour éviter d'allumer une centrale thermique permettant de faire face au pic.

Les premiers articles dans la presse parlaient du fait qu'EDF demandait réparation à Voltalis pour le manque à gagner du fait de la baisse de consommation de ses clients. À l'heure où l'on encourage les économies d'énergies, cette version des faits parait effectivement bien choquante. En approfondissant un peu, on découvre comme bien souvent que les choses sont plus compliquées qu'il n'y parait. D'abord, la requête ne vient pas directement d'EDF mais de la Commission de Régulation de l'Énergie (CRE).

Je vais reprendre l'exemple du magasine l'Expansion en détaillant encore un peu plus pour expliquer ce qui se passe exactement. A un instant T, les deux fournisseurs d'électricité EDF et Poweo estiment chacun que la demande de leurs clients sera de 50 mégawatts. Mais soudain, la température chute. La demande en électricité s'emballe, et les clients de Poweo consomment 60 MW. Sans boîtier Voltalis, les clients d'EDF consommeraient également 60MW et il faudrait donc augmenter la production d'électricité d'une centrale électrique pour produire les 20MW supplémentaires consommés par Poweo et EDF. Heureusement, nous sommes sauvés, les clients d'EDF utilisent des boîtiers Voltalis qui coupent certains appareils électriques chez les clients d'EDF. La consommation des clients d'EDF chute à 40MW. EDF continue de produire 50MW et RTE, le gestionnaire du réseau qui gère l'offre et la demande entre les différents fournisseurs d'énergie, peut donc revendre les 10MW excédentaires d'EDF à Powéo. On n'a plus besoin de produire 20MW de plus, cette énergie a été économisée par les clients d'EDF pour faire face à la consommation des clients de Poweo.

Au niveau des rémunérations, on a donc Poweo qui paie à RTE les 10MW supplémentaires que RTE lui founit (plus une surtaxe de reroutage d'électricité). RTE paie Voltalis pour les 10MW économisés et qu'il a ainsi pu revendre à Poweo. Le problème vient du fait qu'EDF continue de produire 50MW mais que ses clients ne lui paient plus que 40MW. La question qui a été posée à la CRE est donc de savoir qui paie la différence à EDF ?

  • Pour Voltalis, c'est Poweo qui doit payer les 10MW à EDF puisque c'est lui qui consomme l'électricité. Ça veut dire que ces 10MW deviennent très cher puisqu'il faut les payer à la fois à Voltalis (pour l'économie), à EDF (pour la production) et une prime de reroutage à RTE.
  • Pour la CRE, c'est Voltalis qui doit payer à EDF pour ces 10MW. C'est ce que critique Voltalis car cette décision met à mal son business model : au lieu de toucher les revenus de 10MW pleins, ils ne toucheraient plus que la différence entre les 10MW vendus à Poweo au moment du pic (peut-être un peu plus chers, à un tarif « pic ») et les 10MW rachetés à EDF (au tarif normal).

La CRE justifie sa décision par le fait qu'il serait injuste que l'effaceur touche plus que le producteur. D'un côté, il est vrai que les effaceurs n'existeraient pas sans les producteurs et le fait que leur production soit constante donc il parait normal qu'ils ne touchent pas leurs revenus au détriment de ces derniers. D'un autre côté, d'un point de vu écologique, il est plus intéressant de payer pour faire chuter la consommation globale. C'est ce qu'essaie de faire valoir Voltalis.

Actuellement la loi va dans le sens de la décision de la CRE car elle oblige un fournisseur qui déleste une certaine quantité d'énergie à reprendre cette même quantité d'énergie par la suite pour ré-équilibrer le réseau. Cette loi a été créée pour que les fournisseurs d'énergie facent des échanges équilibrés mais elle n'est pas adaptée au cas des effaceurs qui peuvent produire (=économiser sur la base d'une production constante) mais qui ne peuvent pas consommer. Le gouvernement a donc mis en place un groupe de travail visant à fixer un cadre réglementaire favorable à une baisse de consommation globale et satisfaisant toutes les parties.

Voltalis souhaite faire appel de la décision de la CRE sans attendre les conclusions de ce groupe de travail car ce délai permettrait aux fournisseurs d'énergie de développer leur propre technologie d'effacement.

Cette affaire montre aussi du système énergétique dans une société capitaliste. Pour satisfaire aux nécessités environnementales, on doit demander à des acteurs économiques de vendre moins pour polluer moins :

  • soit on reste dans une perspective de croissance des revenus des fournisseurs d'énergie et pour arriver à une baisse de la consommation il faudra augmenter proportionnellement le prix de l'énergie. On voit avec la demande d'EDF d'augmenter ses tarifs que c'est encore mal accepté socialement.
  • soit on souhaite réduire la consommation tout en limitant la hausse du prix de l'énergie. Dans ce cas, il reste à trouver d'autres leviers que le prix d'achat pour faire baisser la consomation (quotas par exemple) et il faudra trouver des moyens de faire accepter aux fournisseurs d'énergie une baisse de leurs revenus (nationalisation par exemple).